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Réflexion tribologique
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Quand on bichonne d'anciennes mécaniques on est inévitablement confronté à l'embarrassant choix des lubrifiants. Et pour cause, les huiles spécifiées dans les notices d'entretien d'origine ne se trouvent plus dans le commerce.
La réponse la plus souvent assénée:
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N'importe quelle huile actuelle est meilleure que les huiles d'époque !
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Vraiment ?
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Il est indéniable que d'énormes progrès ont été faits dans le domaine des lubrifiants.
Mais en quoi ces progrès améliorent-ils la lubrification de nos vénérables motocyclettes ?
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Depuis ce temps, les mécaniques ont aussi beaucoup évolué.
Si bien que les moteurs actuels sont différents des anciens, ils ont donc des besoins différents.
Et comme l'affirmait très bien une publicité récente:
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XY, l'huile pour les moteurs d'aujourd'hui !
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Dès lors, ces huiles sont-elles adaptées à la lubrification de nos respectables machines ?
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Est-ce possible de répondre à cette question d'une manière logique, faisant abstraction du passionnel et des partis pris, ainsi que des données scientifiques pointues, dont on dispose rarement ?
C'est la réflexion que je me suis faite, il y a quelques années, et comme on entend trop souvent n'importe quoi sur le sujet, je me propose de la relater ici.
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___Mise en garde___
Il s'agit simplement d'une réflexion, sans prétention, basée sur l'expérience personnelle et professionnelle, appuyée par quelques informations objectives en provenance des raffineurs, pas d'une étude scientifique, pour laquelle je n'aurais pas les compétences.
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___Considérants mécaniques des R26___
Objets à lubrifier:
- Moteur de BMW R26:
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Caractéristiques de l'objet à lubrifier:
- Moteur à essence 4 temps
- Refroidissement par air
- Bain d'huile spécifique
- Rotation (relativement) lente
- Bloc-moteur largement dimensionné
- Ailettes de refroidissement sous-dimensionnées
- Larges surfaces de friction
- Embrayage à sec
- Boîte à vitesses séparée
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Caractéristiques de son fonctionnement:
- Lente montée à la température de fonctionnement
- Circulation d'air partiellement entravée
- Refroidissement médiocre
- Large amplitude thermique
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La déficience de refroidissement provient du fait que le haut moteur de la R26 est dérivé du moteur flat-twin (et c'est le cas de tous les monos béhème d'«après-guerre»).
Or, si sur un flat-twin, le cylindre et la culasse sont abondamment ventilés, par le flux d'air qu'ils prennent «en pleine gueule», ce n'est pas le cas des monos, sur lesquels le cylindre et la culasse se trouvent:
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derrière l'imposant ensemble fourche-garde-boue;
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dans les tubes du cadre;
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sous le réservoir;
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(sans parler du klaxon sous le phare,
pour ceux qui ne l'ont pas encore déplacé).
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Le flux d'air s'en trouve considérablement entravé.
Les lacunes du refroidissement des monos de 1949 à 1967 ont posé de sérieux problèmes aux ingénieurs de Munich. Ils ont tenté de les résoudre en jouant d'abord sur le diamètre des soupapes (R25/2), puis sur la couleur de la culasse (R25/3), ensuite en augmentant la dimension des ailettes de refroidissement de la culasse (R26), enfin en perçant, au bas du cylindre, un second orifice de lubrification du piston (R27).
Chacune de ces modifications améliora un tant soit peu le refroidissement.
Toujours est-il que les Bavarois ne sont jamais parvenus, et pour cause, à ramener la température de fonctionnement du haut-moteur des monos au même niveau que celui des flat-twins, et n'en ont pas suffisamment tiré les conséquences, par exemple en offrant aux monos les larges ailettes de refroidissement qu'ils auraient méritées.
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- Boîte à vitesses de BMW R26:
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Caractéristiques de l'objet à lubrifier:
- Séparée du moteur et de l'embrayage
- Bain d'huile spécifique
- Bloc largement dimensionné
- Larges surfaces de friction
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Caractéristiques de son fonctionnement:
- Rotation (relativement) lente
- Faible température de fonctionnement
- Pont arrière de BMW R26:
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Caractéristiques et fonctionnement:
- Identiques à la boîte à vitesses
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___Considérants des motos actuelles___
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Objets à lubrifier:
- Ensemble Moteur - Embrayage - Boîte-à-vitesses:
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Caractéristiques de l'objet à lubrifier:
- Refroidissement liquide (certes, pas tous)
- Rapide montée à la température de fonctionnement
- Bon refroidissement
- Faible amplitude thermique
- Rotation rapide
- Surfaces de friction aux dimensions minimales
- Embrayage en bain d'huile
- Moteur - embrayage - boîte-à-vitesses d'un seul ensemble
- Même huile pour le tout
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On retient que les moteurs actuels ne sont plus soumis à une longue période de basse température après la mise en marche.
Et ils n'ont plus à craindre les températures de fonctionnement élevées.
Les surfaces de contact (des engrenages, par exemple) sont réduites, et corrélativement, les vitesses de rotation sont plus élevées. Ce qui aurait tendance à monter l'huile en mayonnaise, si des additifs n'étaient pas ajoutés.
Notons aussi le paradoxe de l'embrayage en bain d'huile: un bon embrayage doit bien «plaquer», or la raison d'être d'une huile c'est de permettre aux pièces mécaniques de glisser le plus facilement possible entre-elles. Des additifs sont aussi ajoutés pour résoudre cette quadrature du cercle.
En résumé, les mécaniques actuelles, si elles sont moins soumises aux températures, demandent davantage de polyvalence mécanique aux lubrifiants. Polyvalence qui est satisfaite par le recours à de nombreux additifs.
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___Comparaison___
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L'aspect le plus évident me semble être les températures de fonctionnement.
Voici quelques décennies que la surchauffe n'est plus un problème pour les moteurs de motos ou d'automobiles.
Une bonne partie des nombreux additifs des huiles actuelles ne sont d'aucune utilité pour les vieilles mécaniques.
De plus, les additifs s'«usent» au fonctionnement, et finissent par encrasser l'huile.
Or, c'est l'huile qui lubrifie, pas les additifs, et l'huile ne s'use pas !
(Si nous changeons périodiquement l'huile, avec les vidanges, ce n'est pas parce que l'huile se serait usée, c'est simplement parce qu'elle s'est chargée en particules de toutes sortes. Notamment de carbone calciné et de soufre suite à la combustion, des additifs brûlés, de micro-limailles provenant de l'usure mécanique, ou encore qui ont pénétré par le reniflard, etc. Ces particules sont parfois abrasives, ou peuvent colmater les orifices de passage d'huile. C'est simplement pour cela que nous remplaçons l'huile.)
C'est presque une lapalissade, pourtant il vaut la peine de le rappeler:
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Les lubrifiants courants actuels sont destinés aux moteurs actuels.
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Et nos vénérables protégées ne sont plus actuelles depuis belle lurette.
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___Perspectives___
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Heureusement, quelques marques d'hydrocarbures offrent encore des huiles pour les véhicules soumis à d'amples variations de températures et ayant la boîte à vitesses séparée.
Sans faire de pub, pour ma R26, c'est le local et le circuit court que j'ai privilégiés, en optant pour l'huile moteur Legend 4T SAE 20W/50, et l'huile Gear Oil Hypoid SAE 80W/90 pour la boîte à vitesses et le pont arrière, les deux de Motorex (je ne reçois ni commission ni rétribution d'aucune sorte pour le dire ;-) ).
Mais il y a aussi d'autres marques qui proposent également des huiles adaptées aux anciennes.
Les valeurs de viscosité 80W/90 de l'huile hypoïde surprennent, en regard des 20W/40 préconisées dans la notice d'origine, en ce sens qu'elles évoquent une huile très épaisse. Or, il n'en est rien.
En effet, dans les normes SAE, les huiles moteur et les huiles d'engrenages font appel à des échelles différentes.
En voici les équivalences (selon diverses sources autorisées):
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Comme on le constate sur ce schéma, seule la 140, parfois affublée d'un EP (pour Extrême pression), utilisée dans certaines machines de chantier ou machines agricoles soumises à fortes sollicitations, a une plage de viscosité supérieure à celles des huiles moteur.
Des échelles de valeurs différentes ont intentionnellement été attribuées à ces deux catégories d'huiles, par la SAE International (anciennement Society of Automotive Engineers, SAE), de manière à ce qu'on ne les confonde pas.
Cela pour éviter que de l'huile de boîte à vitesses soit utilisée dans un moteur. Ce qui pourrait être fatal à l'engin. (Le contraire est moins préjudiciable.)
C'est ainsi que, pour les huiles dont la valeur SAE est 70 ou supérieure, on sait d'emblée qu'il s'agit indéniablement d'huile pour engrenages.
Pour les deux huiles sélectionnées pour ma R26, on note que, selon les données du raffineur, l'huile moteur Legend 4T SAE 20W/50 a une viscosité légèrement supérieure à l'huile Gear Oil Hypoid SAE 80W/90.
En effet:
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Viscosité
à 40°C
mm²/s
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Viscosité
à 100°C
mm²/s
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Indice de
viscosité
DIN ISO 2909
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Legend 4T SAE 20W/50
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169.0
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19.0
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128
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Gear Oil Hypoid SAE 80W/90
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141.9
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15.1
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107
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__In fine__
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Pour conclure, comme le disait mon professeur de mécanique:
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Ce ne sont pas les lubrifiants qui coûtent cher, c'est leur absence !
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A bon entendeur salut !
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